Culture
Burkina-Faso: des arts qui se vivent, un art qui s’éteint.
Un dimanche 18 Février assombri! Le célèbre réalisateur africain d’origine burkinabè Idrissa OUEDRAOGO a choisi s’en aller en plein Festival des Arts de la Rue du collectif d’artistes bénévoles ACMUR. Tout en faisant un bilan sommaire de la neuvième édition de « Rendez-vous chez nous », Boniface Kagambega, directeur artistique du festival se souvient de l’icône.
Cet article est subdivisé en deux parties. La première est consacrée à l’interview avec le Directeur Artistique du Festival qui rend hommage au réalisateur. Au cours de la deuxième partie, Bélélé Jérôme Willam Bationo, chargé des relations avec les médias sur l’événement culturel a répondu aussi à quelques questions. Lui aussi parle du disparu.
Boniface KAGAMBEGA
Ganiath BELLO: Peut-on déjà faire un bilan sommaire de cette neuvième édition du Rendez-Vous Chez Nous ?
Boniface Kagambega: Pour nous, c’est un bilan positif par la fréquentation, la qualité des spectacles, toutes les compagnies, groupes et troupes attendus ont été présents. Par l’implication du premier responsable de la culture à savoir notre ministre qui a fait trois fois des déplacements dans le cadre du festival. Nous avons réussi à organiser une table ronde très riche entre acteurs culturels et chercheurs sur la lutte contre la radicalisation. Une dizaine de formations ont été organisées. 15 pays participants, 45 structures officielles et 4 continents font partis de cette édition du festival.
GB: Des idées en gestation déjà pour la dixième édition ? Si oui, quelles sont-elles ?
BK: Nous aimerions terminer le festival en Guinée-Conakry après Bamako au Mali. Créer un spectacle qui parlera des lycéennes enlevées au Nigéria. Avoir une forte participation des femmes dans la programmation. Et avec des journalistes comme Eustache Agboton (journaliste béninois) et Bélélé Jérôme William Bationo (journaliste burkinabè), actifs déjà au sein de RDVCN (Rendez-vous chez nous), organiser une rencontre de journalistes africains qui valorisent le travail artistique dans l’espace public et les zones rurales.
GB: De la première à cette neuvième édition, avez-vous toujours tenu le festival au mois de Février ?
BK: Oui, le festival a toujours lieu en Février. Cela permet aux artistes de pouvoir aussi participer aux festivals d’été en Europe qui commencent mi-Avril.
GB: Le Festival a t-il toujours été tenu à Bobo Dioulasso, Boromo et Ouagadougou?
BK: Oui, nous avons toujours fait le festival dans ces trois lieux et aussi dans six villages aux alentours de Ouagadougou.
GB: Parlons à présent de Idrissa OUEDRAOGO. En plein festival, vous apprenez son décès; quel effet cela vous fait-il?
BK: C’est une grande tristesse pour nous à une année du cinquantenaire du FESPACO. Pour nous, il est l’un des meilleurs réalisateurs et formateurs du continent. Plusieurs réalisateurs burkinabè ont appris à ses côtés.
GB: Un souvenir du réalisateur ? Un message pour continuer ses œuvres ?
BK: Je fais partie d’une génération de Burkinabè, née en Côte-d’Ivoire qui a découvert notre pays le Burkina, nos villages à travers ses films. J’ai aussi eu la chance de jouer dans les premiers épisodes de « 3 hommes un village » qu’il a coréalisé. Il reste une idole pour moi. La génération future doit travailler à la perfection dans tous les domaines et se battre pour notre cher continent.
Bélélé Jérôme William Bationo
Depuis neuf ans cette année, les Burkinabè vivent un mois de Février mouvementé et particulier. Différents types d’arts dans les rues, des figures impressionnantes et extravagantes, des visages rayonnants d’enfants qui courent dans tous les sens, des couleurs multiples qui invitent à la créativité, au rêve, des talents qui suscitent ou réveillent des passions, des sonorités locales et modernes qui agrémentent le quotidien des populations… Toute une vaste programmation artistique qui transforme le Burkina-Faso en un grand carrefour africain de la culture dans la rue. Bélélé Jérôme William Bationo chargé des relations presse, parle de la naissance et de l’essence de ce festival.
Ganiath BELLO: Qu’entend-t-on par Rendez-Vous Chez Nous?
Bélélé Jérôme William Bationo: Le festival «Rendez-vous chez nous» est un projet de production, de diffusion et de décentralisation des arts de la rue au Burkina Faso et dans les pays de l’Afrique de l’Ouest. Depuis 2009, le festival investit les rues de différentes villes du Burkina et s’est élargi depuis 2017 au Mali. Le projet est porté par le collectif ACMUR = « Assez de murs » = Association Arts, Clowns, Marionnettes et Musique dans nos Rues.
«Rendez-vous chez nous» œuvre aussi dans les zones urbaines et rurales, ainsi qu’au sein de structures d’accompagnement d’enfants en difficulté comme l’orphelinat de Loumbila, en périphérie de Ouagadougou.
GB: Comment le nom du festival a-t-il été pensé et trouvé ?
BJWB: ACMUR Burkina est née en 2002 de la volonté de monter une organisation porteuse de projets dédiés à la structuration, au développement et à la pérennisation des arts de la rue en Afrique de l’Ouest. Ce collectif d’artistes issus de plusieurs disciplines : théâtre, danse, musique, cirque, art équestre, échasses, marionnettes, conte, arts plastiques, scénographie…place au centre de ses priorités la formation artistique et technique, la création et la diffusion pour la rue, dans une dynamique de professionnalisation et d’exigence artistique. Ainsi donc les projets phares annuels sont le festival gratuit et hors des murs «Rendez-vous chez nous » ainsi que l’organisation de la journée internationale des arts de la rue.
GB: Pourquoi rendez-vous chez nous ?
BJWB: L’esprit de briser les murs et accueillir les gens chez soi. Toutes les actions sont menées dans le but de rassembler les forces vives des arts de la rue au Burkina-Faso pour la démocratisation de l’art et la culture.
GB: Qu’est-ce qui se fait au cours des éditions de RDVCN ?
BJWB: Formations, échanges artistiques, installations scénographiques, partages de multiples expressions artistiques d’arts de la rue (cirque, marionnettes, etc.), Concerts de musique, etc
GB: Quel est le plus ajouté au cours de cette neuvième édition?
BJWB: Pour cette année, une table ronde entre chercheurs africains et européens et acteurs culturels du réseau « Ma Rue » autour du thème « La radicalisation en questions : dialogue entre acteurs culturels et chercheurs ». Une thématique d’actualité, s’inscrivant dans la dynamique du collectif ACMUR qui place au centre de ses priorités la création et la diffusion dans la rue et pour la rue, dans un environnement de cohésion et de sécurité pour tous.
GB: Quelques chiffres de RDVCN, ceux de la huitième édition par exemple!
BJWB: La huitième édition de « Rendez-vous chez nous » en 2017 c’est :
– 223 000 spectateurs
– 70 compagnies et vedettes de la musique en provenance de 11 pays différents
– 20 invités et directeurs artistiques de festival
– 90 représentations à Ouagadougou et dans les villages alentours
– 25 représentations à Bobo-Dioulasso
– 2 parades réunissant plus de 300 artistes à Ouagadougou et Bobo-Dioulasso.
– 4 créations artistiques
– 5 projets associés
– 10 formations et ateliers soit 59 participants
GB: L’actualité culturelle burkinabè, au-delà du festival, c’est aussi le décès de Idrissa OUEDRAOGO. Quelle a été selon vous et en votre qualité de journaliste culturel, sa contribution au cinéma burkinabè et africain?
BJWB: Il a amené le cinéma là où il n’était pas. Il a fait une adaptation du vécu des burkinabè au niveau du cinéma. Cela a permis à la population burkinabè et beaucoup plus africaine à s’approprier le cinéma. Avec Idrissa OUEDRAOGO et d’autres congénères, on a eu du cinéma mais Made in Burkina-Faso parlant du quotidien de ce peuple et de l’Afrique en général. Par exemple, avec le film Yaaba, on aborde entre aautres les questions de sorcellerie.
Il était comme un pionnier qui a contribué à mettre en lien les traditions avec la modernité. C’est comme s’il essayait d’être un pont à la fois pour les populations locales et pour les étrangers afin que les uns aillent vers les autres et vice-versa. Aussi a-t-il permis à tous ceux qui n’étaient pas du pays, de connaitre aussi les us et coutumes des hommes intègres.
Bonus
Témoignage d’une journaliste Burkinabè Revelyne SOME sur Idrissa OUEDRAOGA. Elle parle des projets du réalisateur.
» Boukari Koutou » du nom d’un roi mossi est le projet qui le tenait à cœur, « le noyau de la mangue » est le film qu’il voulait présenter au cinquantenaire du Fespaco, parce que dit-il, il y a longtemps que le Burkina n’avait pas été bien représenté au Fespaco, « je veux faire ce film et prendre l’étalon de Yennenga pour vous » étaient ces mots… Cependant cardiaque qu’il était, il ne se ménageait pas du tout. Ces derniers temps, je l’ai rencontré plusieurs fois et je le voyais agiter, il voulait forcement faire son film et cherchait l’argent pour ça. Et enfin son dernier projet était » le rêve de Sita ». Bref, je ne finirai pas de parler de lui. On n’était si proche que je ne trouve pas le courage d’écrire. »