Opinion

La vie dans mon quartier (Épisode 1)

 

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Céline
 Nous rêvons d’une belle et rayonnante Afrique. Opulente. A la mesure des richesses de son sous-sol et de ses cultures. Nous sommes d’ailleurs nombreux à dénoncer les images macabres que les télévisions internationales montrent du continent même si c’est le reflet des quotidiens de certains pays ou d’autres régions. Ce rêve ne pourrait être réalisé que lorsque chaque Africain bénéficierait des fruits de sa terre natale. Richesses naturelles et culturelles. Mais ce n’est pas encore le cas.

J’ai alors décidé d’écrire. Ecrire. Faire parler des vies. A travers des épisodes, montrer des réalités qui repoussent au loin cette belle Afrique tant convoitée. Révéler par la plupart des histoires, des précarités qui transgressent le seuil de la tolérance et de l’humanité. Mon espoir est de toucher des cœurs de quelque manière que ce soit.

Pour ce premier épisode, nous allons lire Céline.

Je m’appelle Céline. J’ai 26 ans et je suis mère de trois enfants dont un est le neveu manche longue ramené du village dans l’espoir que Cotonou lui apporte un bon karma. Mon dernier, une fille, Ida a un an bientôt. Je vis avec mon conjoint, menuisier dans un atelier qui connaît plus de maigres jours que la détermination à perdre du poids d’un sac d’os. Pendant ma dernière grossesse, je n’avais aucune activité génératrice de revenus. Mais je suis une bonne ménagère. Je m’installais au portail à longueur de temps à surveiller l’étagère de bouillons de différentes sortes reconnus plus sous l’appellation de cubes, de notre voisine. En contrepartie, lorsque la vendeuse de riz passait, quelques fois, elle m’en achète pour 75 Fcfa (même pas le dixième d’un Euro) lorsqu’elle était là.

Le soir parfois, je l’aide à retirer les mauvaises herbes et tiges des feuilles de légumes, à couper le gombo ramené du marché ou à moudre à la main la tomate qui servira de sauce le soir. Quand elle en prépare, elle m’en donne une assiette que nous partageons dans la chambre. Les jours où elle ne me réserve aucun repas, elle me gratifie d’un ou deux cubes assaisonnants. J’en fais du ‘moyio’ (sauce tomate légèrement pimentée faite à la main souvent non chauffée) avec les 200 Fcfa (moins du tiers d’un Euro) ou 300f que mon compagnon a ramené de l’atelier. Il faut avouer qu’on mange plus les cubes que la sauce tomate tellement l’assaisonnement a un goût poussé. Ces cubes, parfois, j’en mettais de côté. Je les vendais aux clients de notre voisine à la place des siens. Elle ne l’a jamais découvert puisque le nombre n’était jamais élevé sinon notre tacite amitié se réduirait en cendres.

Après mon accouchement, de la famille et quelques gens relativement généreux nous ont offert des ustensiles de cuisine, des habits usuels pour bébé et un peu d’argent. Papa Ida m’a donné 2000 Fcfa (un peu plus de 3 euros) pour démarrer une activité qui rapporterait des économies dans le ménage. C’était la saison des arachides ; j’en ai acheté pour 1200 FCFA. Un panier large à 300 FCFA et une large assiette de deuxième main à 350 FCFA. Dès lors, j’ai acquis le titre de vendeuse. Ida attachée solidement dans mon dos, à peine quatre mois, ma marchandise sur la tête, je parcourais quartiers, vons, ruelles, maisons de toutes sortes, églises, mosquées, temple de dieux vodoun du matin au soir pour écouler mon produit.

Notre voisine n’a pas vu d’un bon œil ce changement de mon statut professionnel dont j’étais fière. Elle est allée même jusqu’à me proposer 400 FCFA de rémunération chaque samedi soir pour me maintenir devant son étalage afin qu’elle vaque à d’autres occupations. Je ne pouvais accepter au risque de dépenser en repas le montant destiné au petit commerce et je saisissais là une chance de devenir mon propre employeur. Elle n’a pas aimé et a arrêté de nous soutenir par quelque aide.

De mes parcours de vendeuse d’arachides, je revenais fade, grasse, éreintée ; les pieds en bouillie. Mais j’en revenais contente parce que je parvenais à faire 200f ou 250f de bénéfice. Parfois, j’allais jusqu’à 350f et à chaque fois, je mettais de côté 100f comme épargne.

La photo en début d’article, c’est moi. C’était en saison des pluies. Une dame a voulu m’en faire et mettre sur internet selon ce qu’elle m’a dit. Je n’ai pas dit non. On me verra et surtout, on me lira à travers le monde. Je deviendrai célèbre. Pas autant que ceux et celles que je voyais dans la télé de notre voisine lorsqu’elle et moi étions encore en de bons termes…je serai néanmoins à la première échelle de célébrité. En attendant ce jour heureux, je débarrasse ce que nous avons de cours, de l’eau stagnante qui chaque fois s’invite dans notre entrer-coucher sans permission et nous maintient en éveil une grande partie de la nuit. Quand ce schéma se présente, Ida reste dormir au dos pendant que son père trouve un moyen de sécher une partie de la chambre pour qu’on y passe le reste du temps. Les deux autres enfants sont souvent couchés sur la table en bois qui nous sert d’habitude de garde-manger.

Quand j’avais 18 ans, je rêvais devenir la compagne du jeune et bel enseignant du primaire de mon quartier. Cossi il s’appelait. Non seulement je l’aimais et me suis donc donnée à lui dès qu’il m’a fait la cour mais surtout j’espérais auprès de lui, reprendre l’apprentissage de la langue française, et en parler avec les Français qui m’aimaient bien quand j’étais jeune. Ils habitaient l’aile non inondée de notre vons. Ils sont partis du quartier dès qu’ils en ont eu marre des piqûres de moustiques et que l’un d’eux en a véritablement souffert.

Tous ces souvenirs sont bien loin derrière moi contrairement à mes rêves partis en fumée. J’aurais tant voulu en retenir un ou deux, histoire de mieux accepter ma vie. Ma mère en moi, voyait une sage-femme, diplômée d’Etat. Mais j’ai dû abandonner les bancs avant le certificat d’Etudes Primaires parce que mon père s’en était allé rejoindre ses ancêtres…

Le prochain épisode parlera du quotidien du petit mécanicien de mon quartier. A peine 6 ans.

PS : Les personnes existent mais les prénoms ont été empruntés pour respecter leur mauvaise fortune et les textes sont quelque peu inspirés de leur quotidien.

Ganiath BELLO

 

 

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Les Cahiers de Ganiath

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6 commentaires

  1. Merveilleuse initiative.

    Qui a dit qu’on ne peut, partir de rien, réussir sa vie.

    Céline en est la preuve. La femme aux mille bras existent vraiment en Afrique, et le Bénin en donne l’exemple magnifique à travers ta plume qui révèle la Grande Céline.

    Chère sœur GANIATH, Bravo.

  2. Triste réalité de beaucoup d’africains mais ne devrait être une excuse car en lisant l’histoire des plus riches de ce monde aucun parmi eux n’avait un ou ses parents riches, peut être sauf peut être DONALD TRUMP l’actuel président des USA.
    Belle inspiration

  3. Je loue la vaillance de Céline… #RêveAfricain: S’en sortir malgré la misère, car notre dignité est en jeu

  4. Belle initiative ! Belle histoire certes triste, mais qui reflète bien le quotidien de la plupart des familles béninoises.
    Avec juste 2000 FCFA, cette femme a pu commencer une activité génératrice de revenus, d’où l’utilité des microcrédits.
    Merci Ganiath.

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