Culture
Objets culturels pris au Bénin en pleine colonisation : « Un pays ne peut pas reconnaître avoir pillé » dixit Erick- Hector HOUNKPE
Les mots sont choisis posément après réflexion. Les phrases sont cadencées. Le texte aurait été de la poésie et on imaginerait bien une mise en scène. Les ‘’R’’ sont roulés sur une seconde et poussière. Parfois, le ton monte, il est imposant lorsque l’idée est capitale et irréfutable. Les paroles sortent du ventre et l’on ressent une insistance dans les propos. Parfois aussi, la tonalité est faible, mais ce n’est pas de faiblesse qu’il s’agit mais de douceur dans le timbre vocal qui se reflète par un sourire presque charmeur. L’interview avec le poète, l’homme de scène, directeur du Festival International de Théâtre du Bénin (FITHEB) au sujet de la demande du Bénin faite à la France de restituer les objets pillés pendant la colonisation, fut un délice. Je ne m’en cacherai pas. Je vous en propose une partie.
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Quel est votre avis au sujet de cette demande de L’État béninois ?
J’estime que le gouvernement a bien fait de poser l’acte de la demande de rapatriement. Un peuple se reconnait par sa culture. C’est cela son identité. Il est important que progressivement nous rentrions en possession de nous-même. D’une partie de nous-même exportée d’ici. Notre futur ne peut exister que par le présent qui tend un pas, un pied au passé ! Nous sommes une construction en marche. Là-dessus, il n’y a pas de bavure pour moi, il n’y a pas de myopie. Il est nécessaire que le gouvernement de mon pays, qu’il soit d’hier, d’aujourd’hui ou de demain, fasse l’effort que le rapatriement se concrétise.
Le rapatriement de ces objets aidera à enrichir notre démarche touristique. Parce que jusque-là, ce sont les autres qui vendent ce que nous sommes au monde et qui rentrent dans les devises alors que nous ne sommes pas là.
Il est vrai, ils avaient réussi au travers de la colonisation à y arriver. Mais c’est aussi vrai que le monde fait des marches vers la justice. C’est aussi vrai que la France reste le pays des droits de l’Homme, qui éduque aux grands sentiments d’humanisme et donc, il lui incombe le devoir d’aider à l’exemplarisation.
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Selon certaines sources, ces objets n’auraient pas été pillés mais donnés à la France. Qu’en dites-vous ?
Non ! Là il y a un mensonge politique et une vérité diplomatique. Un pays ne peut quand même pas reconnaitre avoir pillé. Ne soyons pas dupes. Parce que ça implique une bagarre juridique au niveau de l’ONU. L’on ne peut pas dire que Béhanzin, tel qu’on l’a connu, tel qu’on l’a hérité ait pu donner. C’est-à-dire que l’on veut faire de l’amalgame. Certes, les rois de Danxomé que ce soit Glèlè, Guezo ou Béhanzin, ont donné certains objets pour ouvrir l’amitié ; mais on veut nous faire croire que tout est ensemble, ce n’est pas évident. Il y a des objets que profitant de la guerre, on a ramassés. Ce sont des butins de guerre. Et ça, on ne peut pas nous dire qu’un roi ait pu les donner, ce n’est pas vrai. Ce n’est pas possible. Ce n’est pas faisable parce qu’il est des choses très substantielles à nous qu’un roi ne donnerait pas surtout quand on parle de Béhanzin. Il faut se le rappeler qui en pleine mer a souhaité revenir poser des actes. Il est d’abord revenu détruire son palais pour que l’ennemi ne le souille. Il a enterré sa mère. C’est quelqu’un tenant à certaines valeurs donc objets pieux, spirituels et sentimentaux, il ne pouvait s’en séparer comme ça. Il aurait préféré les enterrer comme sa mère.
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Face à un refus de la France de restituer ces objets, qu’est-ce qu’il y a lieu de faire ?
Il y a lieu de continuer le dialogue. J’ose dire le ‘’trialogue’’ ou la conversation. Le gouvernement doit maintenir sa requête et passer par les instances reconnues par l’UNESCO pour faire plaider la cause du Bénin quant au rapatriement des biens. Nous sommes des Africains, qu’on regarde comme les bas-fonds du monde mais il est temps qu’on commence à nous regarder comme des humains, des êtres ayant des droits et des devoirs, ayant des sentiments, capables de demander qu’on nous respecte. Sur ce plan, la France aura d’avenir avec nous quand elle comprendra qu’une nouvelle ère s’ouvre, une ère de coopération. Parce qu’il y a longtemps que nous parlons de coopération sans coopérer.
Il faut d’abord mettre en place des instances de dialogue qui affirment clairement que ces biens nous appartiennent et doivent être rétrocédés. C’est le substrat. Ensuite ouvrir les voies de dialogue juridique, social, éthique et politique. Le gouvernement doit tenir ferme !
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Certains nationaux préconisent laisser ces objets où ils sont, parce que le Bénin n’aurait pas de musées et autres équipements nécessaires à leur entretien et à leur sécurité. Ce n’est pas votre avis à vous écouter !
Quand il s’agit du Bénin, notre nation, chacun d’entre nous doit comprendre qu’il y a peu de choses négociables. Par contre, la question de la sécurité des objets et du traitement à long terme peut se poser ! Mais n’est-ce pas cette France, cet Occident, qui dès l’amorce des années 90 nous avait fait miroiter le transfert des compétences. C’est l’occasion pour transférer les compétences en cette matière au Bénin. Un processus doit être ouvert et on doit définir un calendrier au bout duquel les biens en question doivent être rétrocédés. J’aime la France, J’aime les Français mais J’aime plus mon pays le Bénin.
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Les familles royales concernées peuvent demander à rentrer en possession de ces biens. Est-ce possible ?
Vous ignorez là le pouvoir d’expropriation de l’État.
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Une fois repris, ces objets pourraient simplement être abandonnés dans leurs palais royaux respectifs ou autres lieux qu’on leur aura trouvé et subir les affres du temps. Que faut-il faire pour éviter cela ?
On peut définir une période de 5 ans où les questions de rétrocession, de droit, de propriété, de nationalisation de propriété doivent être évaluées. Des experts doivent discuter et fixer les normes. C’est au gouvernement et au président de la République de mettre en place un creuset ou au parlement de voter une loi. Dans ce cadre, tout va être facile.
Ganiath BELLO