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Interview avec Nnenna NWAKANMA, Ambassadrice en Chef à la Fondation World Wide Web: « Le monde virtuel numérique n’est que le miroir des humains, des hommes et des femmes que nous sommes. »

La pandémie de coronavirus a changé la mentalité de tous ceux qui étaient réfractaires à l’usage et l’utilité de l’Internet ; et de ceux qui ne voyaient en cela qu’un outil de distraction et de privilège à cause du coût d’une connexion permanente. Le télétravail par exemple est l’une des pratiques les plus répandues à travers le monde après le respect des règles barrières de sécurité. Une occasion de redéfinir l’image que nous faisons de l’Internet et des réseaux sociaux. Nnenna NWAKANMA, Ambassadrice en Chef à la World Wide Web Foundation répond à cinq questions relatives notamment à l’usage de l’Internet pendant le COVID-19, la géolocalisation des informations,  le coût de la connexion et internet après COVID-19.

1- Comment définirez-vous l’internet par ces temps de crise sanitaire mondiale et qu’est-ce que cette dernière a changé dans nos habitudes ?

Nnenna NWAKANMA, photo prise sur le site de l’UNESCO

Le virus du  COVID-19 nous met face à l’utilité de la connectivité numérique.  Avant on essayait d’expliquer que le monde est un village planétaire, je pense que cette maladie fait une démonstration en force de cette vérité.  Le confinement nous oblige à tourner vers l’Internet. Le confinement nous oblige à nous agripper sur le Web, une bouée de sauvetage en temps de crise. Ceci pour plusieurs raisons : 

  • Le suivi en temps réel de la maladie, de son évolution, et de ses ramifications se fait sur le Web. J’ai trois plateformes de données interactives pour le suivi de la maladie.
  • La conférence en ligne remplace mes voyages. Au cours de ces dernières semaines, j’ai eu à tenir  en ligne trois conférences qui étaient censées se dérouler en présentielle, une au Mexique, une au Bénin et l’autre aux USA.
  • Le télétravail s’est installé définitivement dans le monde. Il n’est plus une affaire des Consultants, des analystes-programmeurs ou des journalistes. Les conseils des gouvernements, les sommets des Chefs d’Etat se tiennent désormais en ligne, même en Afrique.
  • Le commerce électronique a pris le pouvoir. On reste à la maison, on commande, et la commande est livrée chez soi.
  • L’école virtuelle, on peut en parler? Malgré les difficultés le monde entier semble aller dans ce sens. Comme l’a dit une Ministre africaine, les écoles sont fermées, mais les cahiers doivent rester ouverts.
  • L’Internet nous est d’un grand secours dans nos relations.  La distanciation sociale rend le rapprochement numérique plus souhaitable.  Nous avons activé nos réseaux littéralement!
  • L’information, la communication et surtout la sensibilisation se passent aussi sur le web.

2- L’utilisation et la compréhension des gens de l’internet et des réseaux sociaux avec ses bons et mauvais côtés, peut-on dire que l’internet est une arme à double tranchant ?

Tim-Berners-lee, photo prise sur ZDNet

Je  retiens une chose de Tim-Berners-Lee l’inventeur du web. C’est la même notion qui prévaut dans le milieu des pères fondateurs de l’internet et de la technologie ; ce qui est devenu le monde numérique ; avant c’était la communauté numérique. Cette chose, c’est leur vision : en mettant la technologie aux mains de tout le monde, ils feront un bon usage; je reprends: la technologie étant démocratisée, étant aux mains de tout le monde se verra utilisée d’une manière positive. Toutefois, le numérique est une révolution que le monde n’a jamais connu. On a connu la révolution industrielle qui était liée à la tangibilité des produits. Mais la révolution numérique, digitale n’est pas quelque chose de tangible. Elle tient beaucoup plus l’esprit de l’Homme et sa capacité à créer. Le numérique est virtuel. Ce qui fait que ceux qui commencent ne contrôlent pas généralement la finalité de la chose. Au moment où Tim-Berners-Lee mettait en place le protocole qui va nous servir pour le web, au moment où Jon Postel et Vint Cerf mettaient en place le protocole des adresses IP, ce n’était pas un produit fini.

Ce que nous avons aujourd’hui comme le numérique, comme internet, comme le digital appelez-le comme vous voulez, ce n’est pas un produit fini. Ce n’est pas un écosystème qu’on peut verrouiller. Il en va de soi que nous tous nous, sommes bénéficiaires mais aussi créateurs. Le mal qui se trouve sur le web, sur internet n’est pas dû à internet. C’est dû à la nature de l’Homme. Quand nous prenons l’être humain, il aime contrôler. Il a ses désirs, il a ses caprices, il a ses ambitions ; certaines ambitions sont criminelles et le web n’est que l’outil qui permet à l’Homme de réaliser ses désirs. Il va de soi qu’il y aura des gens biens, vertueux, de bonnes personnes, de mauvaises personnes. Comme l’UNESCO le dit, « c’est dans l’esprit de l’Homme que commence la guerre et c’est dans l’esprit de l’Homme qu’il faut combattre la guerre » 

Image prise sur Symbiocratie

Alors, le mal que nous voyons sur l’internet n’est que l’extériorisation de la nature humaine. Pour faire court, le monde numérique n’est que le miroir du monde réel. Il n’est pas aussi virtuel que nous pouvons le croire. C’est ce que nous sommes dans le monde réel peu importe cette chose, c’est tout cela que nous apportons en ligne. Que nous soyons chrétiens, musulmans, artistes musiciens, capitalistes ou socialistes, saints ou criminels; c’est tout cela que nous apportons en ligne. Voici pourquoi il est impossible pour les uns et les autres  de dicter d’une part, de contrôler d’autre part, les agissements des uns et des autres sur le web. Toutefois, nous avons dans la société réelle les mesures de gouvernance, les mesures pour combattre les crimes, la légèreté et autres. Ce sont ces mesures-là qui prévalent en ligne. Nos manières de respecter le droit, de gouverner la société réelle s’appliquent aussi dans la société numérique.

De cette  même manière, ce qui apparaît au Bénin comme scandaleux, on peut parler de pudeur et autres : pour l’américain, c’est normal. Je me souviens, à San Francisco un jour, j’ai vu deux hommes nus, qui se promènent nus parce que à San Francisco, il est normal de le faire. Aucune loi n’exige à ce que les gens soient habillés. On peut parler de l’expression de son identité. Le monde virtuel ou numérique n’est que le miroir des hommes et des femmes que nous sommes.

3- Notre impuissance face aux grands contrôleurs de contenu sur internet peut-elle trouver une solution, parce qu’il ne semble pas intéressant quand deux personnes d’Abidjan et de Cotonou par exemple lancent les mêmes recherches sur Google ou autres ne reçoivent pas le même contenu?

Image prise sur ‘La Revue des Médias’

Si nous prenons par exemple Google ou Facebook, les industries numériques se basent sur une relation avec la communauté. Le numérique, ce n’est pas seulement du ressort du fabricateur et du consommateur. On dit que le contenu est roi et celui qui contrôle le contenu, contrôle un peu tout ce qui se passe. Quand ils ont lancé les réseaux sociaux, que cela soit Facebook, Twitter ou tous les autres, il y a toujours les règles d’engagement de la communauté. Ils reviennent toujours vers leurs utilisateurs pour dire : « qu’est-ce que vous pensez de cela? »  Il y a toujours ce dialogue continu avec les compagnies et les utilisateurs ; et c’est fort des retours des utilisateurs que certains principes ont été adoptés pour la gestion des plateformes. Alors, je me souviens il y a 20 ans, quand on faisait nos recherches, on nous donnait tout et ce n’était pas gérable. Il y a eu des retours de la communauté qui dit : ‘’non, on aimerait bien personnaliser nos recherches, que vous prenez en compte ma géolocalisation pour me donner des résultats parce que en géolocalisant les résultats, ça va très rapidement. » Depuis des années, on est rentré dans cette utilisation d’amélioration des résultats tenant compte de la géolocalisation. Vers la fin, on est arrivé comme vous le voyez à se sentir mis dans un pré carré, dans un quatre murs alors qu’on aimerait bien aller au-delà. Ce sont les aléas, le risque aussi de nos choix à un certain moment. N’empêche qu’on puisse toujours venir dans les paramètres et les changer. C’est un travail à faire de la part de l’utilisateur. On peut toujours revoir ces paramètres de recherche.

4- Parlons du devoir des opérateurs GSM de revoir à la baisse les coûts de connexion internet. Quel est votre avis là-dessus?

Image prise sur Benin24 TV

Il y a ce qu’on appelle les infomédiaires. Il y a beaucoup d’acteurs qui entrent en ligne de compte quand nous parlons de télécommunications ou d’opérateurs télécoms. Souvent, on estime que l’internet coûte cher, qu’il faut diminuer. Ce n’est pas que les opérateurs fixent les prix qu’ils veulent ; il y a des éléments dans l’équation. Il y a d’abord le câble sous-marin, le transport, la fibre optique, les pylônes, les taxes de l’Etat, l’infrastructure, les vols de câbles en aluminium, les employés à payer…

C’est très facile de dire que tel ou tel opérateur est onéreux. Non, il y a beaucoup de personnes qui entrent dans l’écosystème et chacun investit et en fonction de son investissement, il faut qu’il ait un retour sur investissement. Voilà pourquoi quand nous parlons de l’abordabilité, des prix d’accès ; ce n’est pas forcément une discussion sur les opérateurs. C’est tout un écosystème.

A l’Alliance For Affordable Internet (A4AI) et la fondation World Wide Web, nous travaillons avec tous les acteurs concernés pour que l’accès à internet soit abordable. Je peux vous le dire : ce n’est pas a+b=c ; ce n’est pas très facile. Il faut prendre en compte tous les coûts des investisseurs avant de revendiquer la cherté de l’internet. Pour résumé, dans la communication numérique, il y a beaucoup d’acteurs qui interviennent, il y a beaucoup qui veulent en profiter, il y a beaucoup qui investissent et ceux qui investissent doivent pouvoir avoir un retour sur investissement. C’est à nous tous d’y travailler.

Nous en tant que la fondation Web, nous accompagnons le gouvernement béninois dans sa politique d’accès universel et il faudra aussi que chaque Béninois comprenne de quoi il s’agit, qu’il comprenne l’utilité. Et qu’il veille à sauvegarder les investissements que l’État fait dans ce sens.

Nous avons tous un rôle à jouer. Que ça soit dans la création de contenus, que ça soit dans notre attitude en ligne, que ça soit dans notre responsabilité numérique, que ça soit le retour que nous faisons aux opérateurs, aux compagnies, aux plateformes ; nous avons tous un rôle à jouer en tant qu’utilisateurs, compagnie de plateformes numériques, gouvernement.

Image prise sur Silicon.fr

Tout dernièrement, l’inventeur du web a lancé ce qu’on appelle le contrat pour le webCe sont 9 principes avec leurs déclinaisons de ce que nous pouvons faire en tant que gouvernement, en tant que privé, en tant que personne physique pour faire avancer le web pour que l’espace numérique reste un espace saint, un espace sécurisé, un espace accessible à tout le monde, un espace de création et de bénéfices pour nous tous.

 

5- Pour terminer cet entretien, selon vous, qu’est-ce qui devrait ou va changer dans le comportement de l’être humain par rapport à internet à la fin de la pandémie de COVID-19 ?

 

Rien ne va changer parce que l’être humain reste ce qu’il est. Tout le monde parle de télétravail ; nous avons publié sur notre plateforme beaucoup d’articles qui parlent de l’importance du numérique, de l’importance de l’internet. Aujourd’hui, quand on dit télétravail, tout le monde est sur le web ! Mais n’est-ce pas nous qui disons qu’il faut couper l’internet pour un oui ou pour un non ! N’est-ce pas nous qui voulons taxer l’internet pour un oui ou pour un non ! N’est-ce pas nous qui voulons couper les réseaux sociaux pour un oui ou non ! Aujourd’hui, c’est sur ces plateformes que nous travaillons. Alors, il est très important de savoir que l’outil numérique devient un droit de l’Homme. C’est vrai que beaucoup de pays ne veulent pas en arriver là, mais nous à la fondation web, nous croyons qu’un internet abordable, sain, sécurisé, qui permet à tout le monde de réaliser son rêve devrait être désormais un droit de l’Homme. Imaginez un peu dans cette crise si l’Internet n’existait pas !

Propos recueillis par Ganiath BELLO

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Les Cahiers de Ganiath

Je suis Ganiath BELLO, celle qui se cache derrière Elles Médias. Elles Médias, c'est un blog-magazine qui parle de femmes, d'entrepreneuriat, de numérique et de culture en Afrique. Ce blog-magazine, c'est pour autrement faire du journalisme. Un métier qui toujours a été ma passion. Si on nous tacle d'être les "apporteurs de mauvaises nouvelles à travers le monde"; je veux me compter parmi les blog-médias qui ne révèlent que les côtés positifs, motivateurs et brillants de notre cher continent MAMA AFRICA! Vos contributions de toutes sortes: commentaires, abonnements, likes, suggestions, achats de tranches publicitaires, partenariats sont donc très très très et plus que les bienvenues... MERCI de vivre avec moi, Mon Rêve! Bisous et essayez toujours de garder la pêche! C'est toujours mieux.

6 commentaires

  1. Très intéressant entretien. J’ai appris de nouvelles choses notamment ce qui concerne les frais fixés par mes réseaux de téléphonie mobile. Les responsabilités sont partagées et les prises de décisions n’emanent pas que de leurs prérogatives.

    Merci à Ganiath pour cette aubaine. Cela m’a permis de découvrir Dame Nnenna Nwakanma.

    1. Merci Bill pour le temps de lecture et ce magnifique retour. Quand on parle de l’Internet, il y a effectivement plusieurs aspects qui demeurent inconnus du simple utilisateur s’il n’est pas un tout petit peu curieux du fonctionnement. Encore Merci pour ce retour.

  2. Très bel article grande dame. J’ai toujours du plaisir à te lire et à apprendre de tes invités. Merci à Mme L’Ambassadrice pour sa riche contribution à ce sujet d’actualité.

    Ensemble nous y parviendrons.

    Well done Ganiath!

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