L’histoire autour du tas de soja…
Depuis pratiquement deux semaines maintenant, elles sont là. Une dizaine de jeunes femmes. Un peu plus. Un peu moins. Les âges sont variés. Avant 07h du matin parfois, tu entends déjà les voix de quelques-unes. Et après 18h30 le soir, elles y sont encore, attendant l’arrivée de la nuit avant de ranger leurs affaires, leurs grands tamis et plateaux.
Un camion est arrivé déverser des dizaines de sacs de Soja récolté. Ils ont besoin d’être nettoyés. Séparer le bon grain de l’ivraie. Certaines sont nourrices. Certaines arrivent chaque fois avec deux enfants en bas âge. Une fois, j’ai observé longuement une qui allaitait son bébé, une autre qui s’acharnait à apaiser les pleurs de son nourrisson alors que le soleil avait revêtu ses pleins attributs. Au soleil et même quand il y a eu un peu de pluie la dernière fois, elles ont trouvé un moyen de la contrecarrer et de continuer leur travail.
C’est simple. Elles ont besoin de ce job. Ce sont des bras valides qui ont trouvé une occasion divine d’avoir un peu de jetons à attacher au bout de leurs pagnes ou dans un petit sachet plastique blanc transparent ou noir et l’enfouir dans leur soutien-gorge même si c’est déconseillé pour la santé des seins. Leurs mains agiles et habiles travaillent les précieux grains avec expertise.
Pourtant, les débats vont bon train. Les cris et disputent éphémères aussi. Les rires aux éclats également. Quelques pas de danse ou roulement de hanches et des fesses s’entremêlent sur des mélodies entonnées au hasard le temps d’un aller-retour entre le tas de soja et le tabouret qui sert de siège. Des anecdotes sortent de leurs gibecières encéphaliques. Elles n’ont pas conscience de la pandémie qui sévit depuis plus d’un an. Elles n’ont aucune protection. Impossible d’y penser. Leur précarité a déjà pris toute la place. Elles ne se plaignent pas à haute voix de leurs misères, elles n’en ont pas le temps. Mieux, elles n’ont personne à qui les raconter afin qu’elles trouvent soulagement même si c’est pour un laps de temps.
Offrez-leur peut-être des cache-nez, cela les désappointerait; comme si la maladie pour elles, n’existait plus ou n’a jamais existé. Cet argent qu’elles vont se faire, cela va servir à créer un petit commerce d’à peine 5.000 fcfa peut-être et qui ne va pas connaître de lendemains meilleurs ou va demeurer inévolutif, payer une scolarité, organiser les repas du soir pendant une semaine au plus, s’acheter un nouveau wax à prix réduit depuis le temps qu’on en voulait.
Ce sont des revendeuses ambulantes la plupart du temps
D’habitude, elles ont un grand plateau sur la tête. Elles y mettent des articles. Des produits pour la vaisselle et la lessive. Des condiments. Des légumes. Des produits de beauté de seconde zone. Des chaussures. Du poisson fumé etc. Ces plateaux pèsent souvent des kilos. Un enfant à califourchon. Ou pas. Elles sillonnent toute la journée les ruelles de nos quartiers populaires, parce qu’il ne faut pas se hasarder à circuler dans Haie-Vive, il n’y a pas monde au dehors pour héler la marchande. Elles se promènent dans les quartiers de Akpakpa, Saint-Michel, Sikècodji, Jonquet, Zongo … Rien qu’à voir l’état de leurs pieds et de leurs sandales, on peut s’imaginer mais sans éprouver les dizaines de kilomètres parcourus. Leurs pieds salis par la poussière, la crasse et leurs chaussures usées par les pavées, les goudrons et le sable noir ne les préoccupent pas. Elles en souffrent peu. Le plus important pour elles, vendre, revendre ces articles et trouver le peu nécessaire pour nourrir les leurs. Ce sont usuellement des femmes qui n’ont pas connu l’école, ou qui ont dû arrêter avant la fin du primaire et ont vite connu la grossesse et la vie de femme-mère.
Elles ne connaissent pas les Réseaux Sociaux
Elles ne connaissent pas les réseaux sociaux, elles ne connaissent pas les femmes bien sapées et bien maquillées, décrétées leaders des autres femmes, qui sont dans les mouvements d’empowerment des femmes.
Mais elles sont les réelles leaders pour les autres femmes, même pour celles qui ont été à l’école et qui sont dans les bureaux climatisés. Parce que la souffrance émotionnelle, émotive n’a pas de place lorsque la précarité s’est installée. La pauvreté n’est pas souhaitable mais parfois, elle renforce son mindset et occupe l’esprit à penser à se nourrir qu’à faire des jérémiades. Elles sont des leaders inavouées qui ne connaissent pas les tapis rouges, les salles de conférence climatisées, les vêtements de grande marque et malheureusement, elles sont plus nombreuses sur puissance millions que les femmes leaders auto-proclamées. L’idée serait de penser à faire rencontrer ses deux classes sociales de femmes leaders. Mais nous ne le ferons pas. Notre société est occupée à promouvoir le luxe, le bling bling.
Ismael Lo avait vu juste en 1996
Dans le titre la femme sans haine sorti en 1996, Ismael Lo, le musicien sénégalais a dit que »Toutes les femmes sont des reines ; certaines plus reines que les reines ». A l’époque, on ne connaissait pas encore les réseaux sociaux. Mais il ne croyait pas si bien dire. Si l’on essayait de contextualiser, « Toutes les femmes sont des leaders, certaines plus leaders que les leaders ».
GANIATH BELLO